Sous la pluie, le vent et parfois le soleil, dans la boue, l’herbe trempée ou sur le bitume, de curieux personnages à l’air plus ou moins inspiré se relaient régulièrement pour prendre les dimensions de certains arbres et façades végétales ; ils réfléchissent devant une souche ou un tas de fumier encore jaune, ils immortalisent une mare, un puits restauré, un dragon de bois coincé en haut d’une palissade comme une herbe entre les dents, ils lèvent le nez d’un ton grave vers le haut des (mini) falaises… On trouve ces poètes de la nature le long des orées, des bosquets, des prairies à l’anglaise ou des champs, on les voit déambuler au milieu des chemins communaux… Nous avons croisé l’un d’eux, Pierre Marty.
Chemins d’artistes : une étrange activité règne du côté d’Egriselles-le-Bocage (89)
Propos recueillis en substance
Bonjour Pierre Marty, est-ce que tu peux te présenter ?
Je m’appelle Pierre Marty j’ai 66 ans, mon atelier principal est en Puisaye, donc je suis un Poyaudin (NDR : habitant de Puisaye) et je suis également un Parisien. Dès que je suis dans une démarche de création, je suis plutôt Poyaudin, et quand je suis dans une logique de communication sur mon travail, je monte à la capitale 😉 Je suis devenu un artiste il y a six ans à la suite de l’incendie de ma maison ; cet incendie m’a révélé ce désir de faire et cette raison d’urgence à construire quelque chose à partir de ce qui avait été détruit par les flammes. Dans un premier temps, j’ai travaillé du bois brulé et puis je me suis intéressé au noir, à l’or, à la lumière, à la renaissance et également à la valorisation des œuvres dégradées.
Décris-nous tes coups de cœur sur le parcours des Chemins d’artistes ?
C’est l’endroit des Marnières d’Ogny, ancienne carrière de craie revenue à l’état sauvage au milieu d’un bois et d’une prairie qui m’a intéressé. Quand Le Ruban Vert m’a proposé à nouveau de participer à l’édition des Chemins d’artistes 2024, je suis venu dans cette clairière avec l’idée : qu’est-ce que je vais y installer… et puis très rapidement, c’est le lieu qui m’a parlé, j’ai eu envie, non pas d’y installer quelque chose, mais d’interpréter cet environnement, de lui faire dire quelque chose qui pour moi était une évidence, l’évidence d’un théâtre. Alors oui, l’intérêt pour le lieu, c’est le lieu. C’est comment on le révèle, et comment on lui donne une nouvelle identité qui va prolonger l’histoire et la transformer.
Comment interviens-tu sur ce site des Chemins d’artistes ?
On a une falaise qui fait un fond de théâtre, et un renfoncement qui donne le sentiment d’avoir une sorte d’alcôve et on a en face une béance qui peut devenir un espace pour le public et il y a une acoustique, une ambiance, il y a quelque chose qui fait que ça se prête à des spectacles, de la musique, du théâtre, de la poésie, le lieu est en effet chargé d’une poésie incroyable ! En même temps, c’est un milieu qui a une histoire de travail, une histoire des carriers*, une histoire de la souffrance, c’est aussi un lieu qui a failli devenir une décharge sauvage, donc qui est chargé du risque de la souillure, et en fait, toute cette histoire-là, en faire un théâtre de verdure est un moyen de sublimer le lieu, de l’amener vers quelque chose de nouveau, de plus grand on l’espère. Je n’ai pas l’intention d’être pédagogue, j’ai l’intention d’offrir aux gens d’aller un petit peu plus loin dans leur approche sensible d’un lieu.
Quel lien vois-tu entre l’art et la nature ?
Cette ancienne carrière n’est pas un site naturel ; c’est un lieu qui a déjà été façonné par l’humain, donc l’idée est de continuer cette intervention de l’homme tout en ayant un impact le plus faible possible – en réinterprétant l’existant, notamment tous les matériaux qui sont sur place et tenter dans la mesure du possible de ne rien importer de l’extérieur, d’utiliser le bois, les pierres qu’on a trouvées, tous les matériaux qui sont sur place pour avoir un impact minimum. Il n’est pas question de dire que la nature ne peut plus vivre avec l’homme… L’homme fait partie de la nature, simplement la question qui est posée aujourd’hui à l’homme est : quelle place il trouve dans la nature pour ne plus être ce prédateur qui détruit son environnement.
Mon travail était de contribuer à sublimer le lieu, à lui donner une nouvelle identité, et en même temps de raconter son histoire! Dans son histoire, il y a le temps de la carrière, qui va être valorisé par la carrière, mais aussi le temps de la décharge, avec tout ce qu’on y a trouvé d’affreux, des vieux pneus, une carcasse de voiture… l’idée c’était ne surtout pas l’effacer mais de mettre en scène aussi cette partie de l’histoire ; et c’est tout le travail que je suis en train de faire avec les équipes techniques de la commune pour mettre en scène des débris, des détritus… qui vont continuer à vivre sur place de manière organisée, sublimée, j’espère…
Parle-nous de ton travail sur l’épave ?
Un jour, j’avais vu un documentaire sur toute une série de casses de voitures abandonnées en Europe et aux Etats-Unis, où l’on voyait que la nature reprenait très rapidement le dessus ; et ces carcasses de voitures devenaient progressivement des fantômes, des espèces d’ombres qui finissaient par faire corps avec le décor et je me suis dit « oui » c’est quelque chose de fort qu’il faut conserver, qu’il faut assumer, qu’il faut transcender et modestement, quand j’ai vu cette carcasse dans la carrière, j’ai eu envoie de m’inspirer de ce que j’avais vu dans le documentaire pour produire quelques chose…
Qui te finance ?
Personne. C’est un travail de bénévole. Je fais quelque part la démarche du Ruban Vert, nous sommes engagés dans un discours et une pratique sur la nature. J’apporte une contribution microscopique mais que j’estime essentielle à la nécessité de ce qui peut être encore sauvegardé et de valoriser ce qui peut être valorisé. Ce qui est extraordinaire c’est que derrière, il y a le maire et la commune qui mettent à la disposition les outils et les personnes qui travaillent à la commune et qui veulent bien venir travailler sur ce chantier. Le Maire lui-même vient passer les week-ends avec moi à travailler… C’est un travail collectif !
Qu’est-ce qui t’a séduit dans la 2e édition de Chemins d’artistes ?
Plusieurs choses : la première, c’est la persévérance des organisateurs parce que je sais que c’est un vrai boulot, ça ne se fait pas simplement… La seconde, c’est aussi le site que j’ai rencontré et là, je suis tombé sous le charme du lieu. Et la troisième, c’est aussi le fait qu’il y a une vraie équipe, une vraie énergie, y a du collectif et ça me plait !
* Un carrier, ou anciennement casseur de pierres, est un ouvrier travaillant dans une carrière pour l’extraction de matériaux de construction. Source Wikipedia
Par SC Coachmedia